Parce que le milieu aquatique où ils évoluent nous est étranger et que leurs moyens de communication échappent à nos sens, parce que leur apparence physique diffère tant de la nôtre, beaucoup d’humains ne reconnaissent pas aux poissons un caractère sensible. Comment savoir si les poissons sont des animaux sensibles? Cette question est débattue depuis des siècles. Nous savons bien que les humains que nous sommes possèdent un haut niveau de conscience, défini comme une capacité de penser et de ressentir des émotions. Mais le mystère reste entier en ce qui concerne l’expérience que vivent les autres organismes qui nous entourent. La majorité d’entre nous serait d’accord pour reconnaitre cette qualité aux mammifères marins, mais qu’en est-il des poissons? Des travaux scientifiques tentent de répondre à cette question, et les résultats semblent remettre en question les idées préconçues à ce sujet:
– les poissons peuvent être entraînés à se rappeler de l’endroit où se trouve un objet grâce aux indices donnés par le paysage.
– Le mythe du poisson rouge qui possèderait une mémoire de 3 secondes a été infirmé depuis longtemps. Les poissons ont en fait d’excellents souvenirs à long terme.
– Un banc de poissons n’est pas seulement un groupe sans but qui nage de manière aléatoire. Les poissons peuvent vivre au sein de sociétés complexes dans lesquelles certaines traditions peuvent être passées d’une génération à l’autre, comme la capacité à apprendre. Certains poissons ont déjà fait preuve de coopération et de réconciliation.
Il existe des différences de fonctionnement sensoriel entre poissons et mammifères car les poissons vivent en milieu aquatique. Mais leur système de perception de la douleur est très similaire à celui des oiseaux et des mammifères. Les poissons sont dotés de cellules réceptrices et de voies neuronales dédiées à la nociception, de substances transmettrices spécialisées, de systèmes de traitement des informations dans le cerveau équivalant à ceux des oiseaux et des mammifères. Ils manifestent des réponses électrophysiologiques aux coupures, coups et chocs électriques, des comportements d’évitement. Les oreilles intérieures des poissons perçoivent tout un monde aquatique que les humains ne peuvent appréhender sans l’aide d’hydrophones. La biologie marine montre que des poissons communiquent par des « vocalisations » des états comme la cour, l’alarme ou la soumission, en même temps que l’espèce, la taille et l’identité individuelle du « locuteur ». Les poissons « parlent » donc sans cordes vocales. En comprimant leurs vessies natatoires, en faisant grincer leurs dents pharyngales, en frottant ensemble certaines de leurs arêtes, ils produisent des sons. La ligne latérale, organe sensitif que la plupart des poissons possèdent de chaque côté du corps, formée d’une série de poils sensibles alignée de la tête à la queue, détecte les vibrations. Pendant la nage, elle signale au poisson les objets proches grâce aux vibrations qu’ils renvoient, autorisant ainsi la navigation et la localisation précise des proies dans l’obscurité. Chez la plupart des poissons, les papilles gustatives se répartissent non seulement dans la bouche et la gorge, mais aussi sur les lèvres et le museau. Les saumons peuvent parcourir des milliers de kilomètres au cours de leurs migrations, et plusieurs années plus tard, reconnaître à l’odeur leur cours d’eau d’origine. Les anguilles américaines détectent l’alcool à une concentration d’un milliardième de goutte dans 90 m3 d’eau (le contenu d’une grande piscine). D’après sa seule odeur, certains poissons peuvent déterminer l’espèce, le genre, la réceptivité sexuelle, ou l’identité individuelle d’un autre poisson. Les poissons réagissent fortement au fait d’être touchés et leur sensibilité à la lumière est supérieure à la nôtre. Qu’ils produisent ou non eux-mêmes des signaux électriques, de nombreux poissons sont sensibles au champ électrique que génère tout être vivant et peuvent ainsi détecter une proie cachée sous le sable.
Quand une créature monocellulaire comme l’amibe s’écarte d’une source d’irritation chimique ou mécanique, sa réaction est automatique car elle ne possède pas de système nerveux et ne ressent donc pas la douleur ni même le stimulus qui provoque sa réaction. Beaucoup d’autres invertébrés réagissent de la sorte aux stimuli nocifs, mais avec des mécanismes de fuite plus complexes que chez l’amibe. Les étoiles de mer, par exemple, ont un système nerveux primitif qui relie les récepteurs sensoriels aux muscles, ce qui leur permet de s’éloigner lentement d’un stimulus nocif. Ce système nerveux comporte un nombre restreint de cellules, mais ne possède pas de cerveau. Les réactions de l’étoile de mer, comme chez l’amibe, ne sont ni précises ni sophistiquées elle ne peut pas éprouver les stimuli qui déclenchent ses réactions. Les vertébrés ont généralement un système nerveux plus complexe que les invertébrés. Leur cerveau, nettement plus développé, reçoit par la moelle épinière les informations concernant les stimuli nocifs. Il y répond en provoquant des réactions rapides et coordonnées de l’organisme, qui permettent à ce dernier de fuir ces stimuli. Ces réactions réflexes comprennent notamment le retrait de la partie du corps stimulée, des contorsions, la fuite, et, chez certains animaux, le cri. Elles sont motivées par le niveau inférieur du système nerveux, en particulier par le tronc cérébral et la moelle épinière. Les cerveaux des vertébrés présentent des différences entre eux d’une très grande complexité, tant au niveau de leur structure que de leur mode de fonctionnement propre. Les cerveaux des animaux à sang froid par exemple, sont plus simples que les cerveaux des vertébrés à sang chaud. Et de tous les vertébrés, ce sont les poissons qui ont le cerveau le plus simple alors que les humains, eux, ont le plus complexe.
La capacité des poissons à subir le stress et la douleur ne fait pas de doute. Lorsqu’ils sont poursuivis, enfermés, ou menacés de toute autre manière, ils réagissent comme le font les humains face au stress par l’augmentation de leur fréquence cardiaque, de leur rythme respiratoire, et par une décharge hormonale d’adrénaline. La prolongation de conditions adverses, telles la trop grande promiscuité ou la pollution, les amène à souffrir de déficience immunitaire et de lésions organiques internes. Tant par sa biochimie que par sa structure, leur système nerveux central ressemble étroitement au nôtre. Chez les vertébrés, les terminaisons nerveuses libres enregistrent la douleur ; les poissons en possèdent en abondance. Leur système nerveux produit aussi des enképhalines et des endorphines, substances analogues aux opiacées et qui possèdent un rôle antidouleur chez les humains. Quand ils sont blessés, les poissons se tordent, halètent, et exhibent d’autres signes de douleur. Il est clair que les poissons ressentent la peur, qui joue un rôle dans l’acquisition du comportement d’évitement. Certains chercheurs affirment ne pas y croire un instant et l’explique par la petite taille du cerveau et sa conception archaïque: l’absence de cortex cérébral présent dans celui des mammifères. Selon ce point de vue, les réactions lors de conditions stressantes ne seraient pas plus que des réflexes incontrôlables sans aucun contenu émotionnel. D’autres affirment le contraire car bien que leur cerveau soit organisé différemment, il possède des structures dont l’origine est la même: le complexe amygdalien générateur d’émotions et l’hippocampe support de l’apprentissage. Lorsque ces zones sont endommagées, les effets sont observables aussi bien sur les poissons que sur les mammifères. La quantité de travaux de recherche sur ce sujet est considérable, et l’observation démontre clairement des capacités d’apprentissage et de comportements sophistiqués jusqu’à l’utilisation d’outils.
Nous savons que les poissons perçoivent et répondent à des stimulis auditifs, chimiques, ou physiques. Une caractéristique particulière est recherchée afin d’identifier une possible conscience: la fièvre émotionnelle. C’est une réaction physiologique similaire à celle-ci provoquée par une infection, mais déclenché dans ce cas lors d’une situation de stress. Jusqu’à récemment ce fait était admis parmi les vertébrés. Les résultats récents d’une expérience laissent penser que c’est le cas des poissons également, mais cela reste à confirmer. La Suisse a modifié, en septembre 2008, sa loi sur la protection des animaux pour y inclure les poissons en qualité d’êtres sensibles à la douleur. Et, en janvier 2009, l’Union européenne a adopté l’avis commandé à un groupe scientifique (AHAW) sur « le bien-être des poissons » dans lequel les chercheurs admettent que la notion de bien-être doit être la même quel que soit l’animal utilisé pour l’alimentation humaine. Les prises accessoires représentent l’un des problèmes majeurs d’une pêche industrialisée, gargantuesque et extrêmement destructrice. Une pêche qui n’hésite d’ailleurs pas à utiliser des méthodes quasi militaires pour trouver du poisson. De nombreux poissons sont pêchés accidentellement et sont rejetés en mer avec une chance de survie quasiment nulle. Pour la pêche en eau profonde, 3 espèces seulement sont visées, et pourtant plus d’une centaine d’espèces sont pêchées pour être ensuite rejetées à la mer, sans vie. Il semblerait que le domaine de la pêche intéresse de plus en plus les citoyens engagés. Les informations concernant la surpêche se sont multipliées et des solutions émergent pour rencontrer les problématiques. Choisir une pêche artisanale, de proximité, ou arrêter de consommer du poisson, les consommateurs peuvent désormais faire leurs choix en connaissance de cause. Bruxelles parle même d’interdire les filets maillants-dérivants à court terme. Affaire à suivre …